La Turquie à vélo de Siverek à la frontière iranienne, c’était…

… plus aucun portrait d’Erdogan et quasiment plus aucun drapeau turc, ce qui fait du bien après 3 semaines d’overdose !

… Aydin, cultivateur de tomates rencontré à Karacadag, qui m’a raconté (dans un très bon anglais) le sort tragique des Kurdes pris entre le marteau de la politique d’acculturation menée par la Turquie et l’enclume de Daech dans le nord de la Syrie et de l’Irak voisins

… des routes le long desquelles tous les gamins me saluaient

… toujours et encore un nombre incroyable de thés, fruits, légumes, pistaches ou encore Lahmacun, offerts au bord de la route. J’ai parfois été obligé de refuser certaines offres, auquel cas il m’aurait fallu certains jours m’arrêter tous les 5 kilomètres…

… voir des militaires barricadés derrière de hauts murs et des miradors à l’entrée de chaque ville, comme s’ils étaient en territoire occupé

 … Ferat, mon hôte Warmshowers à Diyarbakir, licencié de l’éducation nationale (comme 11.000 profs kurdes) quelques jours avant mon arrivée, avec qui nous avons beaucoup discuté, notamment de la situation des Kurdes en Turquie et dans les pays voisins

… une première journée de pause à Diyarbakir lors de laquelle je me suis promené dans la vieille ville avec Aydin (venu de Karacadag pour me revoir), son fils et deux de ses amis, constatant à quel point la ville est soumise à un intense quadrillage policier et militaire de peur d’attaques du PKK

… être interrogé plusieurs minutes par un policier sur un ton irrespectueux pour avoir pris en photo une sculpture qui prône la paix dans le monde (« what are you doing here ? why do you have a camera ? are you journalist ? »). Le monde à l’envers…

… une soirée à boire des bières et écouter Ferat et ses amis chanter en kurde dans un café

 … une deuxième journée de pause à Diyarbakir à rester allongé en raison d’un mal de ventre pas possible

… Safak, doctorante en anthropologie et amie de Ferat, qui m’a fait découvrir ses coins préférés dans la vieille ville de Diyarbakir lors de ma troisième journée de pause

… une rencontre spontanée et très émouvante dans les rues de Diyarbakir avec un vieux monsieur qui a perdu ses 4 fils, tous membres du PKK ou de milices kurdes, dans les combats contre Daech à Kobané (Syrie) ou contre l’armée turque dans les montagnes du Kurdistan

… l’une des étapes les plus reposantes depuis le début du voyage entre Diyarbakir et Batman, sachant que c’était tout plat et que j’avais un bon vent dans le dos. Résultat : une étape à plus de 23 km/h de moyenne, ce qui n’a pas dû m’arriver bien souvent

… un monsieur qui s’est assis à côté de moi au restaurant à Bismil et qui m’a raconté pendant une bonne demie-heure, dans un excellent anglais et sur un ton très ferme, à quel point les Kurdes sont rejetés par la plupart des Turcs (il a demandé à vérifier mon appareil photo qui traînait sur la table et passait son temps à regarder autour de lui pour voir s’il n’était pas écouté…)

… un jeune à moto à Bismil qui s’inquiétait que j’aille rejoindre les rangs de Daech dans l’est de la Syrie (véridique !), et qui m’a dit « I want to kill all Daech people, because they killed my two brothers in Kobané »

… Mehmet, mon hôte Warmshowers à Batman, à la fois mécanicien moto et technicien dans une raffinerie de pétrole, qui ne parlait pas un mot d’anglais mais qui s’est quand même donné un mal fou pour se faire comprendre

… ma première crevaison du voyage entre Batman et Kurtalan (il aura quand même fallu attendre 5.400 km !)

… 4 potes qui m’ont tenu compagnie pendant que je changeais ma chambre à air, et m’ont offert à boire et à manger sur le bord de la route

… à nouveau des paysages montagneux après Kurtalan, rompant avec la monotonie des grandes plaines de Mésopotamie

… 5 jeunes garçons à vélo qui m’ont suivi dans un village puis m’ont jeté des pierres (heureusement sans me toucher) après que j’ai refusé de leur donner « money money »

 … une seconde crevaison, 30 km après la première, alors que la nuit tombait, ce qui m’a contraint à rejoindre le prochain village (situé à 15 km) de nuit, en mode Paris-Brest-Paris 

… les employés d’une station-essence à Ziyaret, tous frères et cousins de la même famille de réfugiés irakiens, qui ont demandé (voire imposé…) au réceptionniste de l’hôtel / relais routier voisin de ne pas me faire payer la nuit 

… 60 km de montée, régulière mais jamais bien méchante, entre Ziyaret et Bitlis, à travers de magnifiques paysages de montagnes 

… un impressionnant barrage filtrant de l’armée à l’entrée de Bitlis 

… apprendre, une fois passé Bitlis, que la ville renferme un vieux caravansérail du XIIIème siècle, parmi les mieux préservés de Turquie. C’est ça de voyager sans guide…

… un type qui m’a proposé 10 km avant Tatvan de passer la nuit chez lui, mais qui s’est finalement ravisé après m’avoir expliqué que son ami(e) n’était pas d’accord… Du coup comme il faisait déjà nuit, j’ai dû me rabattre sur un petit hôtel familial en centre-ville

… pédaler de Tatvan à Akdamar sans aucune force ni dans la tête ni dans les jambes (à cause d’un gros vent de face et d’un début de sentiment de lassitude à voyager seul), en traversant juste quelques hameaux de montagne, sur une route à 2x2 voies presque sans circulation, avec toujours ces enfants qui me saluent en criant « hello, hello »

… Ibrahim, le propriétaire du camping situé en face de l’île d’Akdamar, qui m’a invité à dormir dans son restaurant (!), et avec qui nous avons notamment discuté de la situation catastrophique du tourisme en Turquie. Lui qui recevait plusieurs centaines de touristes étrangers chaque été depuis 25 ans, n’en a reçu cet été que… 20 !

… une journée de pause à Akdamar, plus ou moins contrainte (mais je ne m’en plains pas) car il m’a fallu attendre de 10h à 13h qu’un bateau se remplisse avec 8 personnes pour rejoindre l’île. Akdamar et son église arménienne du Xème siècle sont l’un de mes gros coups de cœur depuis le début du voyage !

… Sine, rencontrée sur l’île alors qu’elle y passait l’après-midi pour se détendre, avec qui nous avons tenté si bien que mal de communiquer en anglais sur des sujets très variés, et qui est restée passer la soirée avec Ibrahim et moi dans le restaurant avant de prendre un bus de nuit pour Diyarbakir

… pédaler le long du lac de Van et de sa couleur bleu clair parfois irréelle par un vent glacial

… un panorama impressionnant sur Van et son arrière-pays depuis les hauteurs de la citadelle qui domine la ville

… Levent, contacté par Warmshowers, médecin généraliste dans le grand hôpital de Van, qui n’a finalement pas pu m’accueillir chez lui comme prévu mais avec qui nous avons passé la soirée à manger et boire en compagnie de ses amis

… Mustafa, l’un des amis de Levent, excellent photographe, qui m’a spontanément accueilli chez lui. Kurde par son père et arménien par sa mère, il m’a raconté l’histoire tragique de sa famille victime du génocide arménien perpétré par les Ottomans en 1915 et dont Van, anciennement majoritairement arménienne, fut l’un des épicentres

… une étape tranquille de Van à Qotur par un temps frisquet, sur une route sans aucune circulation après avoir passé la dernière ville turque (Özalp). Je me suis même demandé s’il y avait une opération militaire dont tout le monde était au courant sauf moi. J’apprendrai une heure plus tard que cela s’explique par le fait que les Iraniens ferment la frontière à 17h (je suis passé à 16h45…)

… quitter la Turquie à regret, tant l’hospitalité de la population y fut exceptionnelle pendant ces 5 semaines, mais me réjouir d’ouvrir l’un des chapitres tant attendus de mon voyage : l’Iran !